Le pain d’épices de Dijon – MARTINE CHAUNEY- 1978

réf. coop CU120

Préface

Selon l'abominable jargon de notre époque, chaque ville doit avoir désormais son « image de marque ».

Des cabinets spécialisés se feront un plaisir de vous la fabriquer, à grand renfort de publicité.

Il est vrai que nous vivons à l'heure du tourisme de masse. Et il faut attirer les capitaux, les usines, les bureaux...

Les images anciennes ont perdu de leur force attractive, de leur séduction parfois.

Pourtant, en y réfléchissant...

Pour tout le monde, Dijon c'est la moutarde, le cassis et le pain d'épice.

Autant dire le piquant, la douceur et le sérieux. Les trois traits du caractère dijonnais.

Attelez à cette étude de cas les meilleurs spécialistes des relations publiques: ils ne trouveront pas mieux.

Le piquant de la moutarde, soit. La douceur du cassis, bien. Mais le sérieux du pain d'épice?

Avez-vous déjà mangé du pain d'épice ?

Oh! pas ces tranches déjà coupées, flasques et insipides qui ressemblent à des semelles de caoutchouc...

Pas ces mélanges fourrés, truffés de prétendus fruits confits...

Non, du pain d'épice. Du véritable pain d'épi ce.

Un bloc. Une forteresse selon Vauban. La densité du calcaire. La puissance du rocher.

Le pain d'épice n'est pas l'une de ces gourmandises qui font la révérence en fondant dans notre bouche.

Le pain d'épice a beau s'entourer quelquefois de ruban: il est solide et ferme.

De loin, on pourrait s'y tromper. Il a la peau ambrée, le teint havane. Son nom évoque les pays où tout n'est que beauté, luxe et volupté. Son parfum est celui qu'on prête aux îles

battues par les vagues. Mais approchez un peu !

Plantez donc votre couteau, et vous verrez st c'est facile...

Il résiste. Il se défend. Il ne se laisse pas faire.

Il vous faudra de bonnes dents pour le réduire à merci, s'il est d'honnête et ancienne lignée. Mais alors...

Alors seulement la peine que vous aurez prise vous paraîtra légère. La dureté est ici l'expression de caractère, mais ce pavé a un cœur d'or.

Le pain d'épice nourrit, et c'est là sa première qualité. Comme le pain, sans doute, mais avec tant de choses en plus le plaisir du goût, le charme de l'enfance...

Car le pain d'épice est aussi associé aux premières joies de la vie. Les enfants en trouvaient dans leurs souliers le matin de Noël et en accrochaient des morceaux, mêlés à des croquignoles, aux rameaux de buis qu'ils allaient faire bénir quelques jours avant Pâques.

Mais c'est là le passé...

Le pain d'épice comment le cacher? - est un chef-d'œuvre en péril, au même titre qu'une vieille abbaye sous le lierre ou qu'un château oublié.

Des artisans maintiennent sa tradition authentique. On les compte, en France, sur les doigts des deux mains.