La conduite du rucher- EDOUARD BERTRAND- 1948

réf. coop AP002

Le 16 janvier 1917, M. Edouard Bertrand, président honoraire de la Société romande d'apiculture, universellement aimé et respecté, s'est doucement éteint à Genève. Il avait 85 ans. Sa vie active et bienfaisante mérite d'être résumée en tête du livre qui a rendu son nom célèbre chez les apiculteurs du monde entier. J'ai vécu longtemps dans son intimité, je puis dire quel homme c'était. Il fit ses études à Genève, alla passer trois ans en Angleterre. puis se rendit à Paris où il devint fondé de pouvoirs d'un agent de change, situation qu'il occupa pendant une quinzaine d'années. Après le siège de Paris, il assista à l'explosion de la Commune. Lors de la prise de son quar tier, saisi par des soldats excités, il fut collé au mur et allait être fusillé, sans l'intervention d'un officier supé-rieur qui le sauva. Ces événements ayant compromis sa santé, il se retira dans sa famille et s'établit dans le déli-cieux chalet de Nyon, sur les bords du Léman, où tant d'apicalteurs ont pu jouir de sa franche hospitalité. C'est alors qu'il s'adonna à la culture des abeilles ce fut une belle passion!

Non content d'avoir un beau rucher dans sa propriété de Nyon, il en créa un autre à Gryon, dans une propriété de famille, puis un autre à Bex, dans le canton de Vaud, enfin un quatrième, plus important encore, aux Allevays, dans le Jura. Il ne cessait pas d'expérimenter et de s'instruire, comparant toutes les méthodes et dépouillant la littérature apicole de tous les pays, grâce à sa connaissance des langues. Aussi, lorsque la Société d'apiculture de la Suisse romande reconnut l'utilité d'avoir un organe qui mettrait ses membres en communication les uns avge les autres, le dévoué vulgarisateur offrit d'éditer cette publication à ses frais. Il avait tout ce qu'il fallait pour mener à bien sa tache, et en peu d'années son Bulletin. répandu partout, comptant des milliers d'abonnés, dut changer son titre contre celui de Revue internationale d'Apiculture. Il en soutint la charge pendant vingt-cing ans. Ses volumes sont toujours très recherchés. C'était, disait l'éminent apiculteur. M. Cowan, sans nul doute, le plus pratique et le meilleur qui parût en français et le seul qui traîtât sérieusement des méthodes modernes.

Les publications de M. Ed. Bertrand se succédèrent sans interruption de 1879 à 1905; on peut dire que rien de ce qui touchait aux abeilles, même de loin, ne lui fut étranger. Il rendit aux apiculteurs de langue française le grand service de mettre à leur portée les meilleurs ouvrages anglais et italien le Guide de l' Apiculteur anglais, de M. T.-W. Cowan; la brochure italienne de M. Rauschenfals sur la Fausse Teigne; la Monographie de la loque, de M. F.-C. Harrison, du Canada: deux nouveaux livres de M. T.-W. Cowan, l'Abeille, histoire naturelle, anatomie el physiologie, et la Cire; enfin l'Abeille et la Ruche, de Charles Dadant et L.. Langstroth, le plus beau et le plus important ouvrage qui ait paru sur l'apiculture, que M. C.-P. Dadant vient de reviser encore et d'enrichir de son incomparable expérience, pour une nouvelle édi tion.

En plus de toutes ses publications, M. Ed. Bertranо donnait des cours et des conférences; il correspondait avec un grand nombre d'apiculteurs auxquels il prodiguait généreusement ses conseils, et, malgré son dévouement, il n'aurait pas pu résister à la formidable besogne qu'il avait entreprise s'il n'avait eu, dans la compagne de sa vie, une aide remarquablement intelligente, qui n'a pas voulu être simple spectatrice des travaux de son mari, mais qui le seconda joyeusement, avec une bonne grâce et une continuité admirables. Elle possédait une haute culture, et, pour cette cause peut-être, était la modestie même. Ce modèle des épouses, dont l'exquise affabilité rendait la maison du maître encore plus attrayante aux nombreux visiteurs, s'est éteinte à son tour au début de 1920. Elle était la fille de Juste Olivier, le poète national suisse, et s'est montrée digne de son illustre origine.

Pour montrer l'esprit de la maison, le désintéressement de M. Bertrand, je me bornerai à un fait il a perfectionné la ruche Dadant, il eût pu la dénommer la ruche Bertrand; il l'appela la Dadant-Blatt, indiquant par l'association de ces deux noms les sources principales de ses découvertes.

Honneur à ce noble caractère qui se dévoua si complètement pour une belle idée! Il a su mettre au point nombre de découvertes, susciter des recherches, encourager toutes les initiatives. Son influence a été énorme, et restera longtemps encore très vivante, parce que son œuvre, comme sa vie, représente un idéal de sagesse, de bonté, de justice et de courage.

J. CRÉPIEUX-JAMIN.